Les
manuscrits des anciens – deuxième
partie ©Lorena
Bettocchi 1936-1955 : Des
manuscrits prennent forme
autour d’Arturo Te-ao Tori, secondé de Juan Araki et de
Gabriel Veri-veri. |
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Arturo Te-ao, neveu de Barnabé
Tori et Gabriel Veri-veri,
neveu de Tomenika Tea-tea (à droite) |
Comme nous l’avons vu pages
précédentes, un groupe se chargea de maintenir vivante la tradition sur le
rongo-rongo. La venue de Katherine
Routledge avait ravivé le feu. À la
fin du 19e siècles, les Pascuans avaient été dépossédés de leur ancienne
écriture. Devant Tépano Jaussen en 1871, il fut signalé que
ces antiquités servaient à allumer le feu : la grande tablette de
Santiago porte en effet des traces de feu par frottement. Selon Ure Vae Iko devant Thomson, en
1886, l’adoration de tous ces objets
païens mettait leur âme en danger.
Bref, peu ou totalement conscients de la perte de leur patrimoine, les
Pascuans furent spoliés des images qui aujourd’hui leur reviennent de
droit : celles de leur tradition orale, de leur religion et de leur
écriture (ONU : loi de protection des peuples indigènes ). Ils revendiquent ce
droit et avec l’aide des musées, et
une femme, Lorena Bettocchi, va tenter de leur retourner leur iconographie,
toute la banque de données qu’elle possède et qui leur manque tellement. N’oublions pas les premiers Pascuans
qui ont tenté l’impossible, furent également aidés des femmes : Catalina
Tori, Parapina Vaka, Angata Vari Tahi, Mariana Pakomio. Probable photo d’Angata jeune (
Thomson 1886) |
En effet, entre 1871 et 1914, le
rongorongo représentait le souvenir des rituels sacrés, tapu, des temps
glorieux du Roi Nga-ara et de la tribu Miru de Anakena. Et si Ramon te Haha
le conta si bien à Katherine Routledge, il dut le conter également durant les
fêtes annueles Paina, à la gloire de
Tu’u Maheke fils de Hotu Matua. Et son neveu Gabriel Veri-veri dût noter ces
rituels anciens. Gabriel homme intelligent,
apprit très vite à lire et écrire. Il mit ses compétences au service de
lépreux et de la communeauté pascuane, nota sur des cahiers d’écoliers tous
les trésors, la flamme de leur connaissance. Il fut contaminé à son tour et
écrivit jusqu'à ne plus avoir de mains… Arturo Te-ao Tori était déjà
recensé parmi les lépreux en 1919. Gabriel non. Né au début du siècle il avait 14 ans,lorsqu’ il dessina des
signes rongorongo devant Katherine Routledge qui passait dans la
maison de sa tante. Il se rendit
compte que des étrangers écrivaient des notes et des informations sur leur ancienne
écriture. Alors, avec beaucoup plus de
talent, il en fit autant. Qui leur avait enseigné l’écriture ? Le premier
maître d’école fut Pakomio
Maori Ure Kino né en 1826. Il avait été instruit dans une ferme au Pérou.
Notons que le vaillant Pascuan, rescapé de l’esclavage s’était échappé des
mines d’extraction des phosphates et fut l’un des 15 survivants qui revinrent
sur leur île. Il enseigna cette nouvelle manière d’écrire à sa femme Angata,
de 30 ans plus jeune qui lui et à son ami Parnabé Tori, né en 1824. Ils
n’avaient pas d’école mais ils furent les premiers instituteurs. Et le plus jeune des hommes Ure Po Tahi fut
instruit à Tahiti par Monseigneur Tepano Jaussen pour faire de lui son
premier catéchiste Rapanui. Maria Atan
Pakomio la fille d’Angata et Andes Teave (Chavez) Manu-Ara furent les deux
premier instituteurs officiellement recensés en 1929. L’apprentissage de
l’écriture occidentale se fit sans problème et à l’intérieur d’un groupe
d’initiés, cela fut l’outil indispensable pour continuer
le rongorongo de l’époque sur manuscrits. Les ateliers sur la tradition orale prirent forme
en 1936 au grand ravissement du Père Sébastien Englert qui encouragea l’initiative sans trop
comprendre de quoi il en retournait sur le rongorongo. Quoiqu’il fut
linguiste, il n’eut pas l’occasion de reconnaître un atlier de correction du
répertoire de l’Evêque d’Axieri. A mon sens, jamais il ne fut en présence des
quatre documents que j’ai découvert… L’année précédent l’arrivée du Capucin,
lorsqu’Alfred Métraux interrogea les Pascuans sur leur ancienne écriture, à
l’aide de ce répertoire de Monseigneur Tepano Jaussen, publié après sa mort
en 1893, Métraux eut moins de chance
que Katherine Routledge. Avec l’aide de ce livret, lui et Lavachery
questionnèrent les Pascuans. Juan Tepano ne connaissait rien du rongorongo ou
ne voulut pas s’en mêler. De l’ancien Tomenika a Tea Tea il n’avait hérité
que de son herminette. Les Veri-veri et les Te-ao ne donnèrent aucune
indication concrète. Alfred Metraux et Lavachery ne visitèrent pas souvent
les lépreux, par contre ils furent les « fixeurs » du cinéaste qui les accompagnait et le conduisirent à
la léproserie. Les prises de vue sur le visage des jeunes et des enfants
lépreux sont révoltantes et bouleversantes.
Se doutaient-ils que parmi eux
il y avait les fidèles gardiens de l’unique ancienne écriture de
l’Océanie ? Certainement
pas. Après leur départ, Métraux
publia alors que les Pascuans ne savaient plus rien de leur écriture.
Mais il leur laissa « le répertoire des signes
boustrophédon des bois d’hibiscus intelligents » ce petit fascicule si précieux pour eux qui
avaient perdu leurs signes et la grande récitation. Il n’y eut entre le Suisse et les Rapanui
aucune osmose en la matière. Car les
Rapanui travaillèrent en secret.
Cependant, il est à noter que Lavachery découvrit la fabrication de
pierres avec une écriture semblable au rongorongo, tous objets destinés au
troc et à la vente. (Ceci fera l’objet d’une page particulièrement dédiées aux pierres). Les
ateliers sur le rongorongo restèrent
secrets, entre Pascuans. Personne ne fut mis au courant. Juan Araki apporta ses connaissances en
astronomie, transmises par son grand-père Araki Tia Pu Ara Hoa a Rapu.
Parapina Vaka donna tout ce qu’elle savait sur la tradition orale à Gabriel
et Matteo Veri-veri. Bref ces précieux manuscrits, banques de données
inespérées, furent conservés dans les
modestes maisons au toit de totora, à la léproserie, à l’humidité… Ces
documents étaient uniques et précieux pour ces hommes et ces femmes qui
avaient tout perdu et qui commençaient à retrouver leurs
traditions passées. Nous allons voir pages suivantes la valeur de ceux que
j’ai découverts en linguistique, morphologie et épigraphie. C’est Thor Heyerdahl, qui curieux des
aku-aku, objets fétiches rapanui, approcha Esteban Atan, de la famille du
dernier roi rapanui, Atamu te Kena. Il en avait dans la grotte
familiale. Estéban Atan, devant
l’intérêt de Thor Heyerdahl pour une pierre fabriquée avec certains signes de
son manuscrit, lui céda la pierre et lui
présenta timidement un cahier, le document source en quelque sorte, écrit par Gabriel Veri-veri à la mémoire de
Ure Vae Iku, cet ancien qui n’obtint pas le respect qui lui était dû par
l’expédition Thomson en 1886 (il fut traité de menteur) et dédié à son
grand-père Tomenika Ava ou Tomenika Vaka a Tea Tea. Thor Heyerdahl ne comprit
pas le lien culturel entre la pierre, actuelleemnt au Kon Tiki Museum et les
manuscrits. Il écrivit que la pierre était un objet fétiche… Non c’était plus
que cela… L’archéologue
norvégien prit la peine de photographier le manuscrit, et il fit bien. Esteban
Atan préparait son évasion. En 1955, les Pascuans étaient assignés à
résidence. Et une série d’évasions pour la terre promise de Tahiti se
préparait. Estéban Atan fomenta la première évasion avec quatre autres
camarades et selon sa veuve la Esperanza, il emporta le manuscrit avec lui. Sa fille Maria est l’héritière des
images de ce manuscrit. Il porte une date sur un calendrier lunaire : he
maro 1936. Thomas Barthel, qui dès 1954 avait terminé sa visite à tous les musées afin de
relever les signes et élaborer son catalogue des signes rongorongo et des tablettes, s’intéressa aux manuscrits des
Anciens. Il les nomma les manuscrits
de Old Ones. Il nous présenta toute
la série des photographies dans la publication de Thor Heyerdahl Reports of the Norwegian Archaeological Expedition to Easter Island
and the East Pacific, Vol. II. Mais il n’en fit
point l’analyse terminale. Son enquête
sur les manuscrit était encore incomplète et malgré mes découvertes le sera
encore. Cependant Barthel nous donna des indications sur les familles qui
avaient participé à ces manuscrits, annonçant
qu’une prochaine publication donnerait des renseignements
complémentaires. Il nous les fournit
dans son ouvrage The Eigth Land publié en
1978 à Honolulu. Je passerai sur tout ce qui
est tradition orale, car il rencontra le manuscrit de Pua ara oha. Je ne crois pas que l’ancien, qui avait 72
ans au moment de la visite de Katherine Routledge ait été l’auteur du livret. Par contre, les Pascuans m’ont certifié que
Juan Araki le fit rédiger à
la mémoire de son grand-père
astronome. Thomas
Barthel analysa en épigraphie les manuscrits de Old Ones |