LES MANUSCRITS DES ANCIENS – PREMIERE PARTIE

© Lorena Bettocchi – Professeur retraité du Ministère Français de l’Education Nationale

Enregistrement D. I. B. A. M. Santiago de Chile

 

 

 

rongotautomenika.jpgJuillet 1914 :  La scientifique britannique, qui explora l’île durant 14 mois, bien évidemment, rechercha des informations sur le mystérieux rongorongo. Munie de photos de tablettes, elle questionna  en vain les familles rapanui  au sujet de  leur ancienne écriture. Elle constata que plus personne ne savait interpréter ces pages, ces signes, cette structure. Cependant, elle voulut en savoir plus sur cette étrange feuille de papier que lui tendit Daniel   Te-ave.  C’était une feuille de carnet ornée de figures disposées en quatre lignes d’écriture cursive, que les Pascuans nommèrent : ramon_te_haha.jpgrongorongo tau.  Ramón Te Haha, le guide octogénaire de l’expédition  l’informa  que le  document  datait de seulement quelques mois,   que c’était un  homme malade de la lèpre qui l’avait dessiné et qu’il avait perdu la mémoire…  bref,  qu’il n’était pas possible de le rencontrer.  Surmontant ses craintes de la contagion, la dame insista, se protégea de deux jupes, d’une paire de gants, d’un chapeau et marcha jusqu’au site qui  éloignait les malades du village. « Approcher une ancienne civilisation vaut bien  quelques sacrifices » écrivit-elle dans sa publication.   Ramon la conduisit à son parent, qui  refusa tout d’abord de sortir de sa hutte, tellement il se sentait faible.  Enfin,  reconnaissant  quelqu’un de sa famille, l’Ancien  finit par  se présenter, vêtu d’un long  caban de marin, qui laissait entrevoir ses jambes  amaigries. Katherine  écrivit qu’il devait être très beau dans sa jeunesse et que ses yeux étaient brillants d’intelligence. L’Ancien voyant son  rongorongo tau  accepta  d’en faire un autre, prenant le crayon entre ses doigts, pouce au dessus.  Il dessina par terre, assis sur sa couverture et se plaignit que le papier fût aussi petit. (1)

(1). Ce document n’existe plus dans les  archives Routledge. 

 

Puis Tomenika récita faiblement  et  Katherine nota  la récitation qui semblerait, par déduction (car ce fut sa seule entrevue avec échange de documents)  correspondre  à ce second   manuscrit : He timo te ako-ako...  La grande récitation des signes… Plus tard, à l’aide de ses informateurs Pascuans,  elle  tenta une traduction… puis  elle retourna visiter les lépreux, en vain :    Tomenika  avait quitté ce monde,  quelques jours  après sa visite. 

Le document ci-dessus porte une date 22 décembre : il ne s’agit pas de la date de la visite. Il s’agit du jour de la mise au net du document.

 

 

timoroutledge.jpg

 

 

GÉNÉALOGIE :

 

Domenico avait une vingtaine d’années en 1862 au moment des raids esclavagistes des Péruviens. Il ne fut pas capturé. Son père  biologique était un Tohua, un maître nommé Vaka. C’était le prénom qu’autrefois en Polynésie on attribuait au constructeur de pirogues à balancier.  N’oublions pas qu’en 1774, un explorateur, James Cook observa de fines sculptures sur la coque des pirogues.   En raison de ses capacités, Tomenico   fut « adopté » à la manière polynésienne par Veri Tea-Tea  fils de Ko te Ana, petit fils de Hiva, de la tribu Tupa Hotu. Selon les notes de  Katherine Routledge, c’est Tea-Tea qui lui avait transmis la tradition  du rongorongo tau chanté en l’honneur des ancêtres de la famille.

     

Domenico  Vaka  fut son nom de baptême : il fut converti avant la mort du Frère Eugène Heyraud en 1868.  Sur les registres, il perdit son nom ancestral. On le retrouve sous le nom de Dominico Vaka (Paté) sur les registres du Père Montinon en 1886, veuf et père de trois jeunes enfants  (deux garçons : Ana-te-Ra te Manu 7 ans, Timoteo Vaka 8 ans et une fille : Parapina Vaka, 14 ans).  Parfois sur les registres il  fut signalé qu’il serait né autour de 1924.  Ce n’était point facile, pour les missionnaires, de retrouver les années de naissance. Comme le recensement de Katherine Routledge manque dans les archives du Museo Fonck, j’essaierai de le retrouver au Bristish Museum lors d’une prochaine visite à Londres. D’après les Rapanui il serait né autour de 1840.

 

Comme les  Polynésiens  ne  parvenaient  pas à prononcer ces  nouveaux noms  chrétiens, Dominico devint Tomenika  à la manière  des natifs. 

 

       Parmi les paroles perdues de la tradition rapanui il y a  son  nom ancestral :   

                                    Tomenika a Vaka Tahua,

                                          a Veri Tea-tea,

                                                            a Tu’u-ku O’nga Hiva,

                                                                           a Tu’u Hau Renga…

 

 Sa généalogie est  fort  instructive sur les grades et qualités familiales. Que disait  son nom ancestral ? Que son  père  biologique fut  un maître, un Tahua appelé Vaka (parfois Kava  sur les registres d’état civil).  Que Tomenika  eut  également un père adoptif nommé Veri,  qui avait la  peau très claire (Tea-Tea).  Que son ancêtre se nommait Tu’u-ku (Tu’u le meilleur des hommes)  et qu’il avait la qualité  O’nga Hiva : le ‘O signifie  qu’il prenait la parole de Hiva (parler lumineux des terres d’origine)  pour sa tribu (nga) durant les célébration ‘O.  Que tous étaient de la famille de Tu’u Hau-renga  qui était un Homme dressé (Tu’u) d’union entre tribu (Hau-renga), qui détenait les paroles de la Paix (Hau), et qu’ils étaient  descendants de Tu’u Maheke fils Hotu Matua, l’ancêtre qui conduisit son peuple Mata-ki-te-rangi,   grande tribu astronome  Miru.   Ces noms polynésiens   sont  riches en sémantique, en poésie et en informations.  Et dans le chant ancien Timo te ako-ako on retrouve les nom des ancêtres de Tomenika…

 

ORIGINALITÉ DES FIGURES :

 

     Revenons à ce dessin : 75 figures, en grande partie ichtyomorphes et zoomorphes originales.    Elles devraient intéresser  les ornithologues, les spécialistes du biotope de la côte rapanui du 19e et du début du 20e siècle : il conviendrait de comparer les données en archéologie. La pureté des dessins stylisés est exceptionnelle.  Le  papier porte une date :  premier mai 1914. Le feuillet  fut commencé par l’intendant de la Cie Williamson et Balfour, puis  arraché, jeté et trouvé par quelqu’un qui l’apporta  à l’Ancien, isolé, loin du village. Tomenika était habile en dessin et il s’en servit pour écrire son rongorongo tau. Les récitations,  avec ses signes, étaient  destinées à sa famille,  à l’époque où le rongorongo ancestral  avait disparu de  Rapanui.   La langue des anciens, l’arero rapanui étaient également en pleine mutation.   Les chants à l’aide des signes  transmettaient la langue ancienne et honoraient les ancêtres. C’est pourquoi on les appelait rongorongo, la grande étude, le grand message.  Car l’une des qualités, l’une des utilités du rongorongo était de sauvegarder la langue ancienne, la vananga Tui, la langue des ancêtres venant  du nord-ouest (Tui est Orion : le nord-ouest pour les Rapanui), c’est-à-dire la direction maritime des  Marquises, des Iles Tonga et plus loin encore.

 

Les Rapanui  furent linguistes. Certains de mes collègues auront du mal à accepter  cette hypothèse que je développe tout au long de mes pages internet.

 

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