Les manuscrits des anciens – première partie.

© Lorena Bettocchi

1914 :  Le  premier manuscrit  fut rencontré  dans la maison  de  Catalina Tori  par Katherine Routledge,

faisant un croquis du visage tatoué de son père.

 

 

 

La visite de Katherine Routledge à Rapanui eut lieu en 1914. Le voilier Mana resta ancré durant quinze mois.  Les notes de Katherine Routledge sur le rongorongo sont de précieux documents d’archives du British Muséum de Londres et du Museo Fonck de Viña del Mar. Il s’agit d’un livret qui commence par le titre rongorongo Tau. Un nouvel adjectif pour le rongorongo en lignes cursives, non boustrophédon.  Pour la première fois ses guides vont lui parler des cérémonies annuelles (tau signifie annuel) et des généalogies.  Des années plus tard, une tablette sera trouvée, portant gravure d’un rongorongo tau, une écriture cursive : la tablette du Poike…

On lui décrit les tablettes rongorongo comme ika, manu  ou  kau, take, ngare, tara-tara et  tangata. Les descriptions fournies par les Rapanui sont plus liées aux tabous qu’à la véritable utilité des objets liés à la linguistique... Ces informations seront éditées par tous les scientifiques qui suivront.  Katherine Routledge aura plusieurs informateurs sur les cérémonies du  rongorongo : les anciens Ramon te Haha, Hé, Haoa et Kapiera. Le texte qui suit se base sur les notes de Katherine Routledge et sur les souvenirs des actuelles familles Rapanui, notamment de Matarena, l’arrière petite nièce de Tori, qui porte le prénom de l’épouse de l’ancien, Matarena Renga Veri-veri, selon le registre des mariages de 1886.  Rámon te Haha, appelé parfois  Paremone,  était né en 1830. Il avait assisté, dès son enfance, aux cérémonies du Roi Nga-ara qui fut l’un des derniers rois initiés en écriture rongorongo. Comme son roi, Ramón était Miru, né de la tribu détentrice des traditions sur l’ancienne écriture.  Cependant,  avoua-t-il « trop maladroit en dessin pour être un bon élève des écoles initiatiques ».  Mais il fut jeune  témoin, et Katherine Routledge prit note. Ce sont les seuls témoignages sur les rituels liés à l’ancienne écriture rongorongo, donc faisant partie de ma banque de données personnelle, puisée dans la documentation historique et commentée avec les familles rapanui en 2006. Et comme Katherine Routledge, je ne remettrai jamais en cause  l’authenticité des témoignages ou le  contenu des rituels. Ce sont des choses sacrées pour les Rapanui.

Voici l’histoire de l’ancienne écriture telle que vous pouvez la retrouver sur le diaporama di site www.rongo-rongo.com et selon Katherine Routledge :

La guerre  fut déclarée aux Miru, nous pouvons l’estimer vers la moitié du 19e siècle. Le roi Nga-ara,   vaincu,  fut obligé de quitter Anakena pour se réfugier chez sa fille mariée à un homme de la tribu Marama, qui vivait dans le secteur d’Hanga-roa. Un grand nombre de kohau rongorongo disparut durant les incendies des maisons ou changèrent de propriétaires. Les kohau rongorongo étaient tapu, sacrés. Le seul fait de les posséder était bénéfique ou maléfique, selon la conscience de celui qui s’en  était approprié.  Nga-ara emporta ses tablettes royales à Hanga-roa.   D’après Kapiera, elles étaient de grandes dimensions, de plus de  cinq pieds. Lorsque le  roi mourut, le feu de son incinération fut allumé avec le bois des tablettes.  Son fils Kaimakoi Iti hérita de quelques pièces anciennes.  Son serviteur,  l’ancien Take, conserva ce qu’il restait mais  fut sollicité avec beaucoup trop d’ insistance par Tati Salmon,  afin de les lui céder.  Nikora (Nicolas) te Take,  né en 1815, donc contemporain de Ure Vae Iko, respectueux des traditions, eut crainte que quelqu’un ne finit par les vendre. Il s’en alla dans la montagne,  fit un trou dans la terre  les cacha, puis  recouvrit la cachette de terre et d’herbe. On ne retrouva jamais les kohau rongorongo de Nga-ara.   Ramón te Haha confirma à Katherine Routledge que deux  kohau rongorongo furent trouvés dans un ahu de Tahai et qu’un Pascuan les vendit au Paymaster Thomson en 1886.  Il s’agit des rongorongo de la Smithsonian Institution de Washington, la tablette nommée Atua Mata Riri et la grande tablette de Washington qui semble avoir servi à restaurer une pirogue. Kohau est un mot qui peut également  désigner  les planches de bois de la coque des pirogues.

 

 

 

C’est à Anakena, site de la tribu royale Miru que le roi Nga-ara recevait les Maori rongorongo durant les fêtes annuelles

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De plus, il se trouve, face à la plage, une plate-forme discrète, assez mal restaurée, qui se nomme Ahu Ihu Arero, le mur de la parolesacrée.  (Photos ci-dessous).  Les pétroglyphes sont apparentés aux signes rongorongo 372, 384 et 755

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 Et c’est autour du moai le plus ancien qu’avaient lieu les cérémonies mensuelles durant la nouvelle lune ou la lune descendante

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Les récitations annuelles du rongorongo, la grande étude du peuple rapanui avaient lieu sous la protection des ancêtres, représentés par les Moai. 

L’Ahu Ature Huki,  restauré par Tohr Heyerdahl, porte le moai le plus ancien autour duquel se déroulaient les récitations rongorongo. Il y a donc un lien ancestral entre l’Ariki, représenté par le moai, les restes mortels de la famille ensevelie sous la statue et les tablettes

mamaridetail.jpg Mamari  Item C (Courtoisie Museo Congrégation SS CC  Picpus, Grottaferrrata. Italie)

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Rei-miro de Londres (Courtoisie British Muséum)

 

         

 

    Il fut tout  raconté, avec force détails, les cérémonies annuelles de Anakena, lorsque Nga-ara convoquait son assemblée de Maori rongorongo qui venaient avec leurs élèves. Lorsqu’ils rejoignaient le site, ils tapaient le sol de leurs bâtons et on les entendait  de loin. Ils tenaient à la main une ou plusieurs tablettes. 

    Les Maori rongorongo s’asseyaient en double file devant l’autel du roi Nga-ara et récitaient  à l’aide de leurs tablettes. S’ils se trompaient, un enfant était chargé de les exclure de la cérémonie.  Ramón te Haha ne fournit aucune indication sur le contenu des récitations.

    Kapiera confirma les dires de Ramón te Haha mais  en dit plus long :   les Maori rongorongo se réunissaient tous les mois à Anakena, durant la nouvelle lune ou la lune descendante et récitaient autour du moai le plus ancien.

     Rappelons que les tribus de Mata Ki te Rangi étaient des tribus astronomes et qu’une tablette, la Mamari  (Item C) contient des rensei-gnements liés à l’astronomie  et à la navigation.

 

 

 

Katherine Routledge ne partit pas explorer l’Ile de Pâques sans avoir emporté les photos des kohau rongorongo  : celle de Londres et les anciennes photos envoyées par Monseigneur Tepano Jaussen à toutes les académies scientifiques d’Europe. Nous ne savons pas à quel moment il y eut osmose entre elle et Parnape Tori, de son nom ancien  Tori  a Papa-Vai ou Tori a Rangi, vieil  homme tatoué, expert de la mer et du ciel comme son nom polynésien nous l’indique. La scientifique britannique désira dessiner son portrait car  Tori était tatoué. Il était comme Ramón te Haha, l’un des derniers témoins de l’époque du roi Nga-ara. Il fut baptisé par le père Hippolyte Roussel et figure sur les registres de mariage de 1886.  Il épousa  Matarena Renga Vare-vare de 26 ans plus jeune que lui. Katherine  lui rendit visite dans la maison de sa fille Catalina Tori, mère d’un  jeune  garçon que nous connaissons comme l’un des derniers initiés du rongorongo et dont nous parlerons plus tard : Arturo Te-Ao Tori

   Croquis de Katherine Rougledge (Courtoisie British Museum)

ctori.jpgTori

reimiro.jpg Rei-miro

 

 

   

La scientifique britannique avait un bon coup de crayon et fit un croquis du visage de l’ancien  Ko Tori a  te Rangi,  en prenant note de toutes les indications concernant  chaque tatouage et  leurs significations.  Ne pensez surtout pas que ce natif  était un illettré : lui et Pakomio Maori Ure Kino furent les premiers instituteurs. C’est durant cette séquence d’écritures que les jeunes Tori et Veri-veri firent le relevés de signes  rongorongo à partir des photos.  Arturo te Ao, Gabriel Veri-veri  et Daniel te Kava a te Ave, furent de 1914 à 1936 les seuls détenteurs de quelque tracés de signes rongorongo provenant de différentes sources (1).  Arturo te Ao initia Gabriel Veri-Veri dans les années 1936, lorsqu’ils retrouvèrent d’ anciens signes dans le répertoire de Monseigneur Tepano Jaussen apporté par Alfred Metraux.  Cela se passa à la léproserie, éloignée de Hanga roa :  les manucrits  que je vais décrire dans les différentes pages de ce site, prirent forme avec les données de ce répertoire et des lignes des tablettes, mémorisées par les jeunes Tori, Veri-veri et Te Ave (2,3)   

           Mais ce n’est pas tout,   Katherine découvrit un document grâce au jeune Daniel,   dans la maison de Catalina Tori, et ce dessin.  la Pascuane la lui offrit. Il  avait appartenu à son grand-oncle. Ramón te Haha le décrivit comme  rongorongo tau,  avec des signes qui servaient à réciter les généalogies.  Il confirma que c’était un dessin de Tomenika a Tea Tea, son oncle. Katherine demanda la permission de le visiter.  Mais il était impossible de le rencontrer  car l’ancien était trop âgé et malade de la lèpre donc inapprochable.  Katherine dominant ses peurs  insista…   

(1)        Photos apportés par Katherine Routledge, livres apportés par l’expédition Metraux-Lavachery, par le Père Sébastien Englert, par les officiers de l’Armada de Chile, etc. Le répertoire de Barthel arriva dans l’île beaucoup plus tard.

(2)        Le patronyme de Te Ave devint Chavez.

(3)        cf Thomas  Barthel, the Eight Land 1978.

 

Le manuscrit et la récitation de Tomenika  

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