Atelier initiatique de
correction du répertoire Jaussen par les Rapanui
Banque de données
polynésienne des années 1936
Troisième
document (photo 4)
Publication : Tahiti
Pacifique Magazine n° 185 – septembre 2006
Les signes apparaissent
différemment classés par rapport au répertoire de Monseigneur
Tepano Jaussen. Il en manque, car le papier est abîmé en ses bords mais on reconnaît la suite du livret page 25.
Parfois les groupes diffèrent, les Anciens ont choisi ce qui est juste ou non, donnent d’autres signifiés et donc continuent à
travailler en sémantique.
Cette page est intéressante car le groupe rectifie les erreurs par rapport au
signe :
·
Pour mago niuhi (requin à tête ronde ou
parfois requin-marteau) traduit par phoque dans le répertoire Jaussen, on nous
propose he ma-mama
·
On a reclassé Ika moe page poissons (doc 3),
·
On a rajouté deux
graphismes signifiant rigariga-pea (ringa pea, algue marine)
·
Et, très intéressant, on a reclassé sur la même
ligne ura la langouste et la
langouste qui bouge ura oho.
·
Mata nahe, yeux d’oursins, est
changé par hetuke (sorte d’oursin) et
le signifié correspond davantage au signifiant ...
4ème photo :
Et voici
l’extrait du répertoire de Monseigneur
TEPANO JAUSSEN Page 25 qui
a provoqué les corrections des Rapa Nui |
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CONCLUSIONS
Des
commentaires visant à sous-estimer le travail des Rapanui sur le répertoire Jaussen furent édités dans la discussion de
Wikipedia en anglais en 2008,
page principale sur le rongorongo :
* par
exemple le rédacteur de Wikipedia ne
voit pas pourquoi dans ces pages de
corrections, il y aurait la preuve que les Rapanui connaissaient la structure
morphologique de leur écriture
* autre exemple, les propos tenus par le linguiste
Jacques Guy : les Rapanui n’avaient aucune idée de ce qu’était le
rongorongo et étaient tout juste de bons dessinateurs…
A ces linguistes hautement diplômés, il manque
une dimension : celle des philologues.
Le Rongo
metua est la banque de données des
années qui ont suivi l’arrivée de Henri Lavachery et Alfred Métraux :
Henri offrit le petit livre du répertoire Jaussen au lépreux. Ils y travaillèrent librement :
l’écriture, vue par leur bon évêque (il avait visité rapanui en 1888 et avait
administré la confirmation aux natifs, les anciens comme Juan Tepano le
savaient) ce livret donc, provoqua les ateliers du renouveau culturel, secrets
mais sans tabou. Car les tabous furent
jetés sur le rongorongo on ne le dit pas assez : les tablettes de
la mort, l’écriture qui mettait l’ âme en danger…
Avec
l’apprentissage de l’écriture à l’école, enseignée par les catéchistes, avec la venue du Père S. Englert, le travail intellectuel sur le rongorongo fut
librement consenti. Les manuscrits en sont la preuve.
Ces pauvres
feuilles très abimées sont le résultat de réflexions. Pourquoi ? Si les Anciens rapprochent le signe ura (langouste) et ura oho
(langouste qui bouge), c’est qu´ ils connaissaient probablement les différentes possibilités
pour exprimer le verbe et le mouvement.
Il en est de même lorsqu’ils rajoutent une maille du filet au signe matariki
(le losange signifiant pour les Anciens le groupe nominal maille du filet, entre autres…)
avec le point le nom commun étoile. D’autres
preuves sont dans la suppression de certaines significations qu’ils n’acceptèrent
absolument pas et de certains signes,
qui n’existaient pas dans le rongorongo
classique. Enfin le signe traduit par he mata o te kainga (les tribus de l’île)
fut actualisé en nombre de tribus des années 30 - les points ou ronds pouvant signifier également
mata
avec kainga ou henua comme toujours la
ligne droite. On voit que mata peut se dessiner de deux façons,
selon la maille du filet (losange) l’œil ou la tribu (le rond). Nous avons toujours une petite ouverture en
sémantique, bien meilleure en tous points que les interprétations loufoques qui furent préconisées par les chercheurs…
En fait ce
répertoire Jaussen ouvrit aux lépreux un
chemin libertaire, la voie de l’étude, une
toute petite flamme que nous n’avons pas le droit d’occulter, un
progrès certain par rapport aux années Routledge. En 1914, seul Tori osa lui demander du crayon
et du papier, pour relever quelques signes de la photo de la petite de Londres
et de la Aruku Kurenga… Il retrouva l’image des signes de son écriture et les
recopia. Seuls les anciens avaient
fourni à Katherine Routledge quelques
signes, quelques logos appartenant aux familles… C’est tout ce qu’il restait.
Mais ils
chantent encore la chanson d’espoir de
Tea-tea, le tau annuel (car le tau est un chant et non une sorte de tablette) :
Timo te ako-ako : la récitation des signes et le retour de Timo, le dernier initié… Timo l’initié fut Gabriel
Veri-veri aidé par ses camarades Arturo Teao Tori, Juan Araki, Matteo
Veri-veri.
Les lépreux
ont réellement progressé. Ils ouvrirent
la voie du travail, libre, non tabou, en sémantique sur le rongorongo. Car on
ne peut lire le rongorongo mais on peut
y travailler en sémantique. Cela s’appelle la méthodologie.
D’autres feuilles mobiles existent, depuis peu en ma
possession et sont la suite du
répertoire Jaussen (ce sont des photocopies de mauvaise qualité du fonds
documentaire de Jésus Conte, qui fut un admirable linguiste avec Alberto
Hotus). Ces différentes feuilles volantes, spécifiques au répertoire
Jaussen, furent mises au propre dans les
décennies qui suivirent, des écrivains
prirent la suite de Gabriel Veri-veri,
qui fut définitivement handicapé de ses mains. L’un des manuscrits, un
cahier, est actuellement au Kon Tiki
Museum d’Oslo.
Les
lépreux ont prouvé l’effort,
l’étude et la réflexion. Les linguistes du temps présent
n’en ont pas fait autant et pourtant se réservent le droit de douter ou de
médire. Ne devraient-ils pas se mettre au travail pour analyser ces documents
et continuer le chantier de Thomas Barthel -comme j’essaie de le faire en toute
modestie- au lieu de divulguer
des stupidités visant à formater l’opinion des lecteurs ou internautes, visant à effacer les traces du travail
contenu dans les manuscrits du rongorongo des Rapanui ?
Et pourtant
ceci est la vérité : quelle leçon de courage, il faut l’admettre…
Quelle leçon
pour tout recommencer ! L’écriture
ce n’est pas une toute petite partie de la culture, c’est un grand
morceau !
Tout
recommencer à partir de si peu
d´éléments car la totalité des notes de Jaussen
ne fut jamais à leur disposition.
Seulement
un petit livre, celui du Père Ildefonse Alezard, édité pour l’évêque Tepano Jaussen à
titre posthume…
Nous avons
privé les Rapanui de la banque de données sur le rongoronge depuis 1886… Il
nous appartient de mettre tout ce nous possédons sur le web car si les livres
sont rares à Rapanui, la modernité a rejoint ses étudiants et le web est un
énorme outil de travail pour eux.
BARTHEL, THOMAS, The
Eighth Land, University Press of Hawaii. Honolulu 1978